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La Roumanie et la Suisse, périphérie et centre de l’Europe

Les distances entre la Roumanie et la Suisse ne sont pas si grandes, ni dans l’espace, ni dans le temps. Chacun de ces deux pays a bien joue son rôle du centre et de la périphérie de l’Europe dans une complémentarité bien évidente non seulement sur le plan économique et  politique, mais aussi sur ceux de la culture et de la spiritualité. L’histoire de la construction européenne ne peut pas faire abstraction des relations qui existent depuis longtemps entre deux nations qui complètent, au moins d’un point de vue spatial, l’image du continent.

 

Est-il prêt le centre à reconnaître sa périphérie? Le référendum du 8 février donnera la réponse.

Située vers les limites orientales de l’Europe, la Roumanie a toujours ressentie l’importance et les bienfaits de l’appui et de la protection de l’idée européenne. Les pays roumains unis, libérés de la double contrainte de la suzeraineté turque et du protectorat russe, ont trouvés au XIX e siècle un autre cours, sous l’égide de l’Europe. Après la deuxième Guerre, le partage arbitraire effectué aux dépens de l’Europe entraînera la perte de ses libertés et de son indépendance, retrouvées seulement en 1989. Aujourd’hui la Roumanie concrétise son rêve de faire partie de l’Europe unie, un rêve défendu par d’anciens précurseurs: Aurel Popovici, l’apôtre du fédéralisme danubien ; Tache Jonescu qui, dès 1914, pensait que les troubles européens cesseront avec la fondation des États-Unis d’Europe ; Nicolae Titulescu, qui consacra sa vie à l’établissement de la sécurité collective et d’un ordre politique unitaire : Iuliu Maniu , qui était persuadé qu’il n’y avait, pour les petits comme pour les grands pays de l’Europe, de salut que dans l’union et le fédéralisme.

 

C’est à Genève, en 1948 après le congrès de l’Europe tenu à La Haye, que Grigore Gafencu, ex-ministre roumain des affaires étrangères, crée le Groupement roumain pour l’Europe unie, avec d’autres exilés du communisme établis en Suisse, pour contribuer aux efforts d'unification européenne. Ce Groupe avait pour but de rassembler tous les Roumains qui pouvaient librement exprimer leur foi dans l’idée européenne : « Notre groupe établira des liens avec le Mouvement pour l’Europe unie, et s’efforcera de représenter et de défendre la volonté et les intérêts réels du peuple roumain jusqu’au jour où la Roumanie, de nouveau libre et démocratique, sera appelée à reprendre sa place dans la communauté européenne. » Ainsi était vue la cause roumaine liée à la cause européenne sur la base de toutes les raisons pour lesquelles le peuple roumain a toujours considéré que l’idée européenne renfermait pour lui une garantie d’ordre et de liberté. Le Journal de Genève avait publié, dans le contexte du partage de l’Europe, l’un des articles de référence de G, Gafencu, « Le conflit de deux principe : celui de l’équilibre et celui de partage dans des zones d’influence. »

 

Trois décennies avant, en 1919, un autre Roumain qui aller devenir quelques années plus tard, comme beaucoup d’autres, un écrivain français d’origine roumaine, Panait Istrati, signait son premier article en français appris en Suisse. « La Feuille » de Genève avait donné voix à la réactivité nerveuse de celui qui à cette époque défendrait les intérêts du peuple roumain depuis des positions gauchistes, autour de l’unification roumaine de 1918. Genève est donc sa rampe de lancement sur le plan international en tant qu’homme de lettres qui cherche avant tout à s’impliquer et non pas à s’affirmer. La Suisse est pendant quatre ans son berceau français de l’écriture. Ici il rédige son premier manuscrit, « L’évadé depuis le Rhin », daté de janvier 1918, pour une revue suisse. Malgré les difficultés matérielles, caractéristiques de toute sa vie, les années « suisses » restent pour Panait Istrati, grand écrivain du XX e siècle, un lieu de liberté et d’espoir.

 

Entre les deux guerres, la Suisse accueille une autre grande personnalité de la culture roumaine, cette foi-ci en tant que diplomate et non comme exilé. Il s’agit du poète, philosophe et théologien roumain Lucian Blaga, docteur en lettre et philosophie de l’Université de Vienne, qui arrive à Berne comme attaché de presse en 1928 et y reste jusqu’à 1932. La deuxième fois il revient seulement pour une année, entre 1937 et 1938. La Confédération Helvétique est le pays où l’écrivain a donné le mieux de toute sa carrière diplomatique. Tout d’abord parce que la Suisse lui a plu, « un paysage plus merveilleux que j’ai jamais rêvé », dit-il, et surtout Berne qui pour lui sera « la ville dont sous le subconscient je l’ai rêvé pour moi. » Deuxièmement, la Suisse lui offre la possibilité de riches échanges culturels. Il traduit et publie dans des journaux et revues suisses des poèmes d’importants écrivains roumains (Tudor Arghezi, George Bacovia, Ion Vinea, Ion Pillat, Adrian Maniu, Demostene Botez), aussi des articles littéraires et même un volume d’anthologie du folklore roumain, et fait avec la grande comédienne suisse, Thea Maria Lenz, des récitals de poésie et de prose roumaine, à Berne, Berlin et Vienne. Pour Lucian Blaga la Suisse est aussi un espace qui respire la liberté et cela il le ressent à travers la presse. « Tout aussi réservée qu’honnête, la presse suisse est toujours prête à publier des articles  réponse » affirme le diplomate dans un rapport pour le Ministère des affaires étrangers de la Roumanie, en ajoutant : « Essayer de placer en masse des articles et informations dans la presse de la Suisse, où toute propagande a été gravement compromise pendant la guerre, est une tentation à l’impossible. »

 

La liste des roumains qui ont enrichi la Suisse avec leur créativité, qui l’on aimé et qui ont été attiré par elle, comme seulement la périphérie peut être attirée par le centre, reste longue. Sûrement ce n’est pas le hasard qui fait que le livre de Mircea Eliade, le grande historien de religions d’origine roumaine, « Psychologie et histoire des religions. A propos du symbolisme du centre. » est publié à Zurich, en 1951, suites aux rencontres d’Eranos fondées par Carl Gustav Jung à Ascona, dont l’auteur les fréquentait régulièrement. Son ouvrage le plus célèbre, « Le Sacré et le Profane » a aussi été écrit pendant ces années de pendulassions en Suisse.
La Roumanie tente aujourd’hui de reprendre sa place dans la communauté européenne, en faisant partie de la grande famille des 27. Elle tente aussi de retrouver son équilibre sur le continent et ses rapports perdus avec les autres pays européens. Entre la Suisse et la Roumanie c’est, dans toute la logique des choses, non le rejet qui définit les rapports, mais l’attraction.   

 

Sources :
Archives historiques de l'Union européenne, Florence, Villa Il Poggiolo. Dépôts, DEP. Mouvement européen. ME 1179.
Le rapport transmis par Lucian Blaga, le 17 fébrier 1939, à la Direction Presse et Information du Ministere des Affaires étrangères de la Roumanie.

 

Simona Radulica Montserrat
Correspondante pour le quotidien Adevarul.